De la richesse des échanges

Paris-Cuba : 7.500 kilometros de conocimiento

Entretien croisé avec Maité Sylla et Elisa María Jorge Rodríguez, chercheures en chimie thérapeutique et à l’origine d’un programme d’échange scientifique entre le Cnam et la Universidad Central « Marta Abreu » de las Villas à Cuba.
Maité Sylla, aujourd’hui enseignante-chercheure au Cnam et membre du laboratoire de chimie moléculaire, génie des procédés chimiques et énergétiques (CMGPCE), est originaire de Cuba où elle a débuté ses études de pharmacie. Notre chercheure globe-trotteuse s’envolera ensuite pour le Brésil et un doctorat en chimie thérapeutique avant d’arriver en France, à l’Université Paris Sud où elle effectuera son post-doc. De ces années de jeune chercheure au département de chimie et de pharmacie de la Universidad Central « Marta Abreu » de las Villas, elle a notamment conservé un lien de travail privilégié avec ses collègues du département de pharmacie dont Elisa María Jorge Rodríguez, elle aussi enseignante-chercheure. Ensemble, elles ont mis en place un véritable projet d’échange international. Et si aujourd’hui il concerne leurs deux pays, établissements et équipes de recherche, à terme, il pourrait se voir développé à d’autres champs disciplinaires mais également à d’autres pays d’Amérique latine et d’Europe. Un petit projet qui voit grand, donc !


Un pequeño proyecto con grandes ideas

Officiellement cette collaboration entre le Cnam et la Universidad Central « Marta Abreu » de las Villas a débuté en 2013 après que trois chercheur.e.s du Conservatoire, invité.e.s par l’université cubaine, s’y soient rendu pour un congrès. Rencontrant, à l’occasion de cet évènement, les autorités locales en matière de recherche, les collaborations déjà existantes entre les équipes de recherche des deux établissements ont pu être officialisées par la signature d’un accord-cadre. L’échange ne pouvant ensuite être facilité que par l’obtention d’un financement, c’est auprès de l’Ambassade de France à Cuba que le projet a été déposé. Validé, il a permis à nos deux chercheures de venir passer de courts séjours au sein de l’établissement partenaire afin de confronter leurs idées mais aussi, de profiter des ressources de chacun.

D’un point de vue scientifique, le projet a débuté après qu’aient été identifiés un certain nombre de points communs entre les travaux des deux équipes sur lesquels il allait être possible de travailler et de développer des recherches ensemble.
Elisa María Jorge Rodríguez enseigne la chimie analytique ; elle s’intéresse notamment à l’analyse pharmaceutique dans le domaine des produits naturels. Les travaux de Maité Sylla, en chimie thérapeutique et chimie moléculaire, concernent la pharmacomodulation et la synthèse des molécules en appliquant dès que possible les principes de la chimie verte. Leurs recherches ont pour point commun la recherche de nouvelles molécules (hits ou leads) à visée thérapeutique, soit à partir des molécules de synthèse (Maité Sylla), soit à partir des produits naturels (Elisa María Jorge Rodríguez). À Cuba, ont déjà été développées des méthodes in vitro et in vivo permettant d’évaluer diverses activités biologiques, notamment les activités anti-inflammatoire et antioxydantes, sur des extraits issus des plantes cubaines. À Paris, parce qu’on a le matériel adéquat, l’on peut aller plus loin en isolant les molécules composant ces extraits. Une fois ces métabolites isolés et caractérisés, l’évaluation de leur activité pourra être réalisée à Cuba. Cet exemple, très concret, démontre parfaitement l’un des principaux intérêts de cet échange : le partage du matériel (machines, moyens techniques) et de l’immatériel (connaissances et méthodes novatrices).

Cet échange de connaissance, l’apprentissage de ces nouvelles méthodes, aura des conséquences bénéfiques au-delà des murs de leurs laboratoires. En effet, l’enseignement et la recherche étant étroitement liés, se nourrissant l’un de l’autre, se sont aussi tous leurs élèves qui en bénéficieront. C’est en cela que, selon nos chercheures, réside la vraie richesse de l’échange qu’elles ont mis en place et qu’elles aimeraient voir se développer. L’étendre, dans un premier temps à l’échelle de leurs départements (encadrer un.e doctorant.e en cotutelle, par exemple) puis, à d’autres champs disciplinaires au sein de leurs établissements (instaurer un programme d’apprentissage du français, par exemple) et puis même, pourquoi pas, penser à l’échelle du continent en mettant en place, par exemple, un système de formation à distance. Quoi qu’il en soit, elles vivent ce projet comme la première pierre d’un édifice qui se voudra beaucoup plus vaste et dont le prochain objectif, très concret, est d’essayer de mettre en place des périodes d’échange plus longues qui permettront de faire des manipulations en laboratoire difficilement réalisables en 21 jours.


Descubrir otra forma de hacer investigación científica

Un des autres aspects positifs de cet échange est la découverte d’une autre recherche qui, pour des raisons politiques, économiques ou culturelles, est menée différemment. Concernant Cuba, la principale différence réside dans les moyens, le matériel, qui est mis à disposition des chercheur.e.s. Ainsi, une manipulation qui ne prendra qu’une après-midi au sein d’un laboratoire français, pourra prendre trois ou quatre mois là-bas. Les chercheur.e.s français.es ont également, grâce à Internet, un accès extrêmement facilité à l’information ; ce qui est moins le cas pour leurs collègues cubain.e.s pour des raisons moins politiques et idéologiques que matérielles et techniques !
Mais les méthodes, elles, sont les mêmes. Et si les chercheur.e.s de la Universidad Central « Marta Abreu » de las Villas ont beaucoup à apprendre aux chercheur.e.s du Cnam c’est aussi parce que, face à ce manque de moyens, elle.ils sont obligé.e.s de faire preuve d’ingéniosité et de développer des méthodes de recherche différentes. Quant à elles.eux, elles.ils ont également beaucoup à gagner en ayant accès à ce matériel qui leur fait défaut et peut parfois les bloquer dans l’avancement de leurs travaux.


Au-delà de ces aspects très concrets, de cet entretien croisé est également ressortie l’importance de la recherche elle-même qui, loin d’en être déconnectée, enrichit automatiquement l’enseignement. Et quand cela se fait de façon bilatérale, entre deux pays séparés par 7 500 kilomètres, le bénéfice ne peut qu’en être doublé. Ce sont les établissements dans leur ensemble qui y gagnent, mais aussi le domaine scientifique dans lequel Maité Sylla et Elisa María Jorge Rodríguez œuvrent et de façon plus générale, le patrimoine scientifique mondial.